L'illustration par le moulin fortifié de
Cougnaguet à Calès
(Lot) - 9
En
attendant la restauration complète du moulin
de Palisson, on quitte la Provence pour observer
le fonctionnement d'un moulin à eau, direction le moulin fortifié de
Cougnaguet à Calès, à
côté de
Rocamadour dans le Lot. Si la difficulté de mettre en mouvement de
telles masses
ne fait aucun doute, l'aisance du mécanisme en mouvement est
déconcertante et une belle surprise. Facile !? Sûrement pas.+ le moulin du Saut et celui de Tournefeuille dans la vallée de l'Alzou, toujours dans le Lot. Et n'oubliez pas le son, vous écoutez dans l'ordre : - le bruit de la
meule tournante (pendant 7 sec), le "tac-tac" correspond au bruit de
l'auget cognant contre le babillard en train de tourner ;
- l'eau dans la turbine (durée 8 sec) qui fait tourner la roue à cuillères et donc la meule ; - le blutoir (31 sec) qui sert à tamiser la farine selon la finesse voulue ; le "clac-clac" correspond ici au bruit des marteaux frappant le mécanisme de tamisage empêchant ainsi la farine de s'agglomérer et donc de boucher le tamis ; - et pour terminer, le bruit du moulin ... Votre navigateur ne prend pas en charge l'audio HTML, voici un un lien vers le fichier audio pour le télécharger. |
Le moulin de Cougnaguet, construit fin XIIIe siècle, est
alimenté par l'Ouysse, affluent de la Dordogne. Il
a d'abord appartenu
à l'Abbaye de Tulle et d'Aubazine. Une tour (fortification) est
signalée en 1444. " En 1701, le fermage en est compris dans celui du
domaine tout entier des Alix " (chapelle située au hameau des Alix,
rattachée à un ancien prieuré cistercien proche de Rocamadour). Un
particulier l'achète aux religieux le 19 juillet 1778. Encore propriété privée, le moulin fut classé Monument Historique en 1925 avant de s'arrêter de produite en 1959. Il est aujourd'hui ouvert à la visite, à une dizaine de km à l'ouest de Rocamadour. Le très sympathique propriétaire a largement agrémenté la visite de son accent ; ses connaissances, quelques noix et une passion façon Palisson ont fait le reste ; je recommande donc la visite de ce très joli patrimoine - prix raisonnable - vérifiez toutefois sur le site les périodes et heures d'ouverture. |
Des personnes habiles de leurs mains, ci-dessus la
maquette d'un moulin, tout y est (ou presque) : la roue à cuillères (en
bas), l'aiguille, meule, trémie, auget, fers, babillard, sonnette ... " La trinité : blé, farine, pain, remplit l'histoire de l'Europe " (F. Braudel). Le pain fut durant des siècles l'aliment de base. En France, au XVIIIe siècle, sa consommation journalière pouvait s'élever jusqu'à 2,5 livres par individu. Une grande partie de la production du pain était domestique et le resta jusqu'à la fin de l'Epoque moderne, y compris dans les villes qui comptèrent toujours des boulangers. En 1880, sa consommation journalière était encore de 600 grammes par habitant, avant de reculer progressivement au XXe siècle (300 gr en 1950, 180 en 1977, 120 en 2015). |
Toiles d'araignées, poussière, ruissellement de l'eau, bruit
mécanique, farine, odeurs ...
tout concourt à l'atmosphère d'une authenticité devenue trop rare. Ici,
les
4 meules d’environ 1,5 tonnes permettaient de traiter jusqu’à trois
tonnes de
grain par jour. A partir de l'aube du Moyen-Age, période où fut choisi de développer la technologie du moulin hydraulique - technologie connue depuis l'Antiquité, mais jusqu'alors faiblement sollicitée - en ville comme à la campagne, le moulin prit une place centrale dans la vie des communautés. |
Rappelez-vous : " De l'état des meules dépend la qualité de
la farine ... " A gauche la potence, elle permet d'extraire la meule
supérieure (ou virante, tournante) de l'arescle (ou archure : coffre en
bois qui
encercle les meules). En effet, selon leur
usure, il faut retailler les
surfaces
travaillantes. Cette opération est appelée
rhabillage et consiste à repiquer
les surfaces des meules en contact avec la mouture. Le rhabillage (piquage, battage, rhabillure, ou encore rencapage) est effectuée par le meunier, en général deux fois par an et plus si besoin. Il fallait donc au préalable déplaçait la meule tournante. Le meunier va retracer les différentes rainures qui permettront la bonne ventilation entre les deux meules, le broyage des grains et le guidage de la farine de l'œillard (trou d'alimentation au centre de la meule) vers la feuillure située en périphérie. |
Meule installée le 24/12/2004 et taillée par "Occitanie
Pierres", entreprise de Cahors. Remarquez l'anille (pièce de métal) au
centre de la
meule. En 1809, 98157 moulins assumaient les tâches de meunerie en France. Il s'agissait à 83,8% de moulins à eau. Dans le nord du pays ceux-ci étaient majoritairement équipés de roues verticales, alors qu'au sud, notamment dans l'aire culturelle occitane, dominaient les moulins à roue horizontale. |
Image de gauche. " Système
de rayons qui prévient l'échauffement des meules et permet de moudre de
120 à 130 kilogrammes à l'heure. - Système à 12 rayons à appliquer aux meules de 1m.25, 30, 35. - Système moins évidé et propre aux meules d'une nature de pierre bien plus poreuse." Le tracé des rayons sur un meule était capital, il devait allier efficacité du broyage, évacuation de la farine et empêcher un échauffement excessif susceptible de faire exploser la poussière, principalement à cause des particules de silex que contenaient certaines meules et qui pouvait provoquer une étincelle par frottement. Les poussières, comme la farine, la sciure ... sont explosives ! Ce dernier point était très important, rappelez- vous ici la fameuse comptine " Meunier tu dors, ton moulin, ton moulin, bat trop vite ! ". Pour éviter toute survitesse un mécanisme tournant au rythme des meules activait une cloche permettant au meunier d'évaluer la vitesse de son moulin. L'installation d'un régulateur à boules aidait aussi à la régulation de la vitesse. Plusieurs gardes-moulins ont imaginé d'élargir les rayons diviseurs, c'est-à-dire les grands rayons qui prennent naissance vers les extrêmes bords de la circonférence et aboutissent dans l'œillard. Nous approuvons ce mode de rayons dans les moulins qui possèdent une force motrice supérieure, car les rayons de ce genre facilitent l'entrée de l'air atmosphérique et empêchent ainsi à la chaleur de la meule de parvenir à une température trop élevée. Il est vrai qu'à la suite d'un travail trop prolongé et forcé, la température ne s'élèverait pas moins à un très-haut degré et nuirait à l'excellence des produits, mais ce qui arrive dans ce cas exceptionnel aux meules dotées de ce système de rayons, se manifesterait encore avec plus de gravité et d'intensité dans les autres. ... Pour augmenter l'efficacité de ces rayons et diminuer de plus en plus la chaleur qui se produit dans les meules assujetties à un travail prolongé, principalement dans les meules pleines, nous avons imaginé une division à vingt-quatre rayons larges en cœur à répartir sur la surface des meules d'un mètre 45 centimètres à un mètre 50 centimètres de diamètre, suivant le procédé ci-après. " (Traité historique et pratique sur la meulerie et la meunerie / par Auguste Piot - 1860). |
La trémie rempli de grains de blé qui seront dirigés par l'auget vers l'œillard au centre de la meule. |
L'auget cogne contre le babillard de forme carrée qui tourne - remarquez l'usure sur les angles (couleur claire du bois) - l'écoulement du blé est ainsi constant et sans blocage. |
L'arescle
(ou archure, tambour ...),
coffre en bois contenant les meules. |
" HUCHE : On désigne par ce mot, une caisse ou coffre oblong
soutenu par quatre piliers ou pieds droits, dans lequel on place le
bluteau. La huche se pose près les meules & on la tient fermée,
pour que la farine ne se perde pas ... " (Manuel ou vocabulaire des
moulins à pot. 1786) Les grains broyés entre les deux meules sont transformés en farine : celle-ci est rejetée par la force centrifuge dans l'arescle avant d'être récupérée dans des huches (coffres). |
L'aiguille (ou trempure), commandée par le meunier, permet d'ajuster l'écartement entre la meule "courante" (celle du dessus) et la meule "dormante" ; le meunier définit ainsi la finesse de la mouture et donc la qualité de farine désirée. L'aiguille joue par levier sur l'axe en dessous de la roue à cuillères - la pointe sur laquelle repose la base de l'axe tourne dans un logement abondamment graissé d'une crapaudine de bronze. La crapaudine est enchâssée dans le bois d'une poutre, appelé banc. |
On part de la gauche et on suit l'axe sortant au centre de
la
meule montant jusqu'au plafond, un premier jeu d'engrenage transforme
le mouvement vertical en horizontal. On suit l'axe horizontal qui nous
emmène vers un un deuxième jeu d'engrenages (contre le mur). |
Le deuxième jeu d'engrenages permet le fonctionnement du blutoir (ci-dessous) |
" La farine, à, l'exception du gros son d'une seule
mouture, que fait notre moulin, est employée pour le pain des troupes ;
mais si l'on voulait obtenir un bon pain de ménage, il faudrait en
séparer davantage de son avec un blutoir. " (Description de modèles en
relief sur les inventions, découvertes, perfectionnements des arts et
métiers ... Q. Durand - 1817). Si l'écart entre les deux meules permet déjà de jouer sur la finesse de la farine, le blutoir permet de produire plusieurs farines plus ou moins fines séparées du son. La mouture sortie des meules est versée dans la trémie (au-dessus à droite), elle tombe ensuite dans le grand cylindre blanc légèrement incliné qui tourne, la toile possède ici des mailles plus ou moins grosses qui tamise alors la farine en trois finesses différentes. En haut à gauche, le tambour (treillis en fer) tourne aussi, il possède des marteaux mobiles coulissant qui viennent frapper les rails et créent des secousses, évitant ainsi - comme le babillard sur l'auget - les bouchons de farine dans la trémie et sur la toile. |
Et
maintenant place à l'hydraulique. En 1825 " Nous serons frappés
d'étonnement, si
nous considérons la faible quantité des eaux employées par l'industrie
française. "
" On voit, dans l'ouvrage publié par M. le comte Chaptal, sur cette industrie, que le nombre total des moulins de la France est de 76,000 parmi lesquels il faut compter peut-être 10,000 moulins à vent. Il reste donc 66.000 moulins à eau ; nous pouvons aisément nous former une idée du travail de ces moulins. (Géométrie et mécanique des arts et métiers et des beaux-arts. Cours normal ... professé au Conservatoire royal des arts et métiers - Charles Dupin - 1825). |
Comme à chaque fois un barrage retient l'eau en amont du moulin. |
Suite du cours de M. Dupin : " Le poids total des
grains de toute espèce, livrés à la mouture, est de six milliards de
kilogrammes. On sait que la force nécessaire pour moudre 1.000
kilogrammes équivaut au travail journalier de cinquante-six hommes. Il
faut donc multiplier 6 millions par 56 ; ce qui produit, pour la force
totale que représente la mouture de tous les grains de France,
336.000.000 de journées lesquelles, divisées par 3oo jours de travail,
exigent 1.120.000 travailleurs. Si nous supposons, seulement, que les moulins à vent de France exécutent un travail de mouture correspondant à celui de 120.000 hommes, il restera le travail de 1.000.000 hommes pour celui de tous les moulins à eau de la France. Ainsi, la force hydraulique utilement employée pour la mouture de tous les grains de France, n'est que la 800ème partie de la force disponible des eaux qui descendent à la mer. " |
Un canal dirige l'eau vers le moulin. |
A gauche, les quatre système commandant les trappes
d'alimentation en eau de nos quatre turbines. Remarquez les freins, et
l'alternance à 90° des trous permettant de régler au mieux la hauteur
des trappes d'alimentation, donc le débit. |
La turbine, si on ne voit pas la roue on voit l'eau arrivant
dans la turbine (en bas à gauche). |
La roue à cuillères, joli travail d'ébénisterie. |
Une fois utilisée, l'eau est rendue à la rivière |
On visite aussi la cuisine, souvenir pas si lointain pour
beaucoup ... |
La cheminée, le cantou (chaise à sel), le rouet, la
fontaine, la bassinoire, les chenets, la marmite ... |
Et tant que nous sommes
dans la région de Rocamadour
Passage par la vallée de l'Alzou pour découvrir les moulins du saut et de Tournefeuille, pas de commentaires, vous savez tout désormais du fonctionnement des moulins. |
Ne
extra mola, nous nous traçons aussi ces limites
: la voie parcourue est déjà
longue, c'est assez d'atteindre le but, ne le dépassons pas. |
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